Spécialiste des maladies respiratoires, l’institut hospitalo-universitaire (IHU) RespirERA, basé à Nice, veut prévenir les maux que la pollution atmosphérique et le changement climatique vont transformer demain en problématique majeure de santé publique. Entre campagnes de dépistage, innovation thérapeutique, IA et végétalisation des villes, les moyens pour faire avancer sur le sujet sont nombreux. Entretien avec son directeur, le professeur Paul Hofman.
LA TRIBUNE – Labellisé en mai 2023, l’IHU RespirERA se présente comme laboratoire d’anticipation des problématiques de santé respiratoire de demain avec, comme terre d’expérimentation, le territoire de Nice Côte d’Azur. Qu’est-ce que cela comprend précisément ?
PAUL HOFMAN – Si l’on se projette dans le futur et qu’on y associe réchauffement climatique, pollution de l’air et vieillissement de la population, un constat s’impose, celui d’une hausse continue des maladies respiratoires, non seulement les cancers du poumon, mais aussi d’autres infections comme la BPCO (bronchopneumopathie obstructive chronique, NDLR) ou les fibroses pulmonaires. Toutes ces maladies respiratoires seront probablement la cause principale de décès dans les dix ans à venir. Or, dans le Sud, et plus particulièrement sur le territoire de Nice Côte d’Azur, où nous sommes installés, l’écosystème s’avère idéal pour cette thématique, entre une population vieillissante, plus sujette à développer ces pathologies, un taux d’hospitalisation lié à ces maladies plus important qu’ailleurs et une pollution atmosphérique certaine due à sa configuration géographique. De ce fait, nous avons, ici, un temps d’avance par rapport à l’épidémiologie de demain en France et en Europe.
Une première série d’actions de sensibilisation et de prévention des maladies respiratoires a été lancée parmi lesquelles un projet pilote de dépistage du cancer du poumon, soutenu par l’Institut national du cancer. Où en est-on ?
C’est un projet très regardé, car en France, si l’on dépiste bien le cancer du sein, du côlon ou du col de l’utérus, on en est toujours au stade du PoC pour le cancer des poumons alors qu’ailleurs en Europe son dépistage est pris en charge par les pouvoirs publics. D’où notre volonté de faire bouger les lignes. Ainsi, depuis un an, pneumologues et généralistes sillonnent-ils le territoire des Alpes-Maritimes, en particulier les zones défavorisées et l’arrière-pays, pour s’installer sur les parkings de supermarché ou dans les centres commerciaux et aller à la rencontre de la population cible. A savoir, des personnes âgées de 50 à 74 ans, fumeurs de longue date, qui n’ont pas ou peu accès à l’information, auxquelles nous proposons de réaliser sur place une spirométrie (test de mesure de la respiration, NDLR) avant de les inviter à passer un scanner.
Vous ne vous limitez pas à cette population spécifique. Les plus jeunes sont aussi ciblés. Comment procédez-vous ?
Notre but est de prévenir, donc plus nous intervenons tôt, mieux c’est. Dès lors, nous avons mis en place une action de sensibilisation au sein des lycées professionnels du département, avec des étudiants en Staps qui vont prêcher la bonne parole. Nous avons également lancé un projet d’université sans tabac. Celui-ci consiste d’une part à l’installation de sas fumeurs, comme dans les aéroports, au sein des locaux universitaires, de l’autre, au développement d’interactions avec les étudiants pour expliquer et tordre le cou à certaines idées reçues au sujet du cannabis, de la chicha ou encore de la cigarette électronique dont l’impact sur les alvéoles pulmonaires est sournois et à l’origine, dans les années à venir, d’un développement potentiel de fibroses. Enfin, nous travaillons à élargir cette sensibilisation à l’hôpital que nous voulons aussi sans tabac. Il me semble qu’une personne habillée de blanc fumant sous les fenêtres d’un patient atteint d’un cancer du poumon n’est aujourd’hui plus admissible.
En termes d’innovation thérapeutique, RespirERA se positionne là aussi sur le terrain de la prévention avec le projet d’interception du cancer. Qu’en est-il exactement ?
C’est une niche, celle des traitements extrêmement précoces, que nous travaillons en partenariat avec le MD Anderson Cancer Center de Houston, premier centre mondial du traitement du cancer des poumons. Il s’agit d’intercepter le développement du cancer en détectant les lésions précancéreuses via une approche radiomique, mêlant imagerie, algorithme d’intelligence artificielle et prise de sang. L’idée étant de proposer un traitement spécifique pour empêcher le développement de cette maladie précancéreuse en maladie cancéreuse. Seuls deux centres dans le monde le proposeront. A Houston donc, et à Nice, où nous sommes en train de nous mettre en ordre de marche avec l’objectif de démarrer le programme en juin 2025.
Quelle place représente l’intelligence artificielle dans les travaux de l’IHU ?
Une place très importante. L’un des membres fondateurs de l’IHU, aux côtés de l’Université Côte d’Azur, l’Inserm et le CHU de Nice, est l’Inria avec lequel nous travaillons depuis une dizaine d’années déjà sur le développement d’algorithmes de prédiction et de détection en agrégeant les différentes données qui nous arrivent des imageries thoracique, histologique et génomique. C’est sur ce socle historique que RespirERA a été construit.
Concernant les dotations, dont la première tranche a été livrée en juin 2024, vous espériez 49 millions d’euros, vous avez obtenu 20 millions d’euros. Est-ce suffisant ?
Nous aurions certes préféré partir avec un bas de laine plus conséquent, mais ces 20 millions d’euros produisent un effet de levier intéressant, une sorte de mise de départ pour lancer des appels de fonds. Plusieurs sont déjà en cours. Nous développons également des partenariats avec le secteur privé, l’industrie pharmaceutique avec qui nous développons de nouveaux biomarqueurs de réponse thérapeutique mais aussi les biotechs dont nous challengeons les technos.
Quid des relations avec les collectivités territoriales ?
Elles sont évidemment primordiales, notamment dans le cadre des stratégies de décarbonation et de végétalisation que mettent en place les villes. A cet égard, nous avons une voiture équipée de capteurs qui sillonne la ville de Nice et enregistre en continu les données atmosphériques pour définir les pics de pollution selon les heures et les quartiers et ainsi identifier les sites où mettre en place des campagnes de décarbonation. C’est une initiative pilote que nous souhaitons dupliquer à l’avenir dans d’autres métropoles.
La végétalisation des villes est-elle réellement efficace ?
En tout cas, c’est toujours mieux que de bétonner ! Mettre du vert, on le sait, a un impact psychologique certain. La population se sent mieux. Après, au niveau atmosphérique, il y a quand même urgence. Le chemin entrepris est le bon mais on se heurte toujours à des barrières, politiques ou budgétaires. Prenez l’exemple des stations de ski de l’arrière-pays niçois. On s’aperçoit qu’en hiver, au plus fort de la saison, il y a plus de particules atmosphériques polluantes là-haut que sur la Promenade des Anglais. La cause est connue, c’est le flux continu de voitures qui se rendent dans ces stations, la réponse aussi, à savoir la création en amont de parking-relais que des navettes électriques relieraient aux domaines skiables. L’effet serait immédiat. Pourtant, cela reste très compliqué. On entre là dans le domaine du politique, ce qui ne doit toutefois pas nous empêcher, en tant que médecin et IHU, de dire ce que l’on constate en toute transparence. A la population, ensuite, de décider et de s’emparer du sujet.
Par Gaëlle Cloarec
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